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Canada : Hit The Road Jack

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1993

Je me souviens d’avoir seize ans et de mon salon parisien rêvasser devant des films de ski américains. Les noms mythiques de Glen Plake, Doug Combs, Dean Cummings, s’affichaient sur les pentes vertigineuses d’Alaska, du Colorado, sur les champs de poudreuse de Colombie Britannique, de l’Utah, pendant que la musique de Sublime, groupe de ska punk préféré des surfeurs californiens, rythmait les virages sautés entre deux corniches de ces fous que l’on appelait skieurs extrêmes. Les images de grands espaces, de « ghost valley » et de « no man’s land » venaient ponctuer les séquences de ski, et au fluo des combinaisons de l’époque se succédaient l’ocre des canyons, le sépia des champs de blé abandonnés pour l’hiver et le brun des forêts denses de sapins. Les paysages américains et canadiens que je découvrais m’invitaient sans cesse au voyage et je ne pouvais contrôler mes envies de les traverser à mon tour. Je me voyais à cheval tel un cowboy de la poudreuse, les skis dans le dos, galoper entre les bisons dans les plaines du Wyoming, ou bien au volant d’une vieille Buick Gran Sport 1970 toute rouillée, zigzaguer au coucher du soleil sur les routes poussiéreuses d’Alberta, les Rocheuses à l’horizon et les bichettes comme copilote. À regarder toutes ces vidéos, c’était le sauvage du far west nord-américain qui m’attirait le plus, le ski resterait le prétexte à voyager : je ne savais pas que 10 ans plus tard je serai citoyen canadien.

2011

Cette nuit, pour la première fois, j’ai eu froid. Recroquevillé en position « foetus », je lutte à 5h du matin contre le filet d’air qui me gèle les pieds, malgré mon sac de couchage -30, et contre une envie de pisser démesurée, malgré un dernier jet avant de me glisser à l’arrière de la Subaru. J’ai la bouteille en plastique à portée de main, pourtant je ne trouve pas le courage de sortir du sac et honorer l’étiquette « eau de source naturelle ». Je vais tenir jusqu’à 8h, en demi sommeil, et me lever fatigué. Il ne faisait pourtant pas si froid hier au bord du Green Lake, près de Whistler, -12, -15 peut être avec le vent. Une fois sorti de la voiture-igloo c’est en voulant ouvrir le coffre que je réalise qu’il n’était pas fermé. Bien joué callaghan.

Je suis parti de Montréal le 8 Décembre 2010, et j’ai traversé le Wisconsin, le Minesotta, le North Dakota, le Montana, le Wyoming, l’Idaho, l’état de Washington pour rejoindre finalement la Colombie Britannique puis l’Alberta. Je suis passé par Fargo sans voir Buscemi, Yellowstone en apercevant des loups, Leavenworth, ville surréaliste typiquement autrichienne perchée à 1800m d’altitude en plein état de Washington. J’ai du faire demi-tour au Jackson Lake dans le Wyoming, après quatre heures de route pensant pouvoir faire le tour des Grands Tetons en plein hiver. J’ai survécu à une nuit glaciale, -37, à Bismark, ville station service et concessionnaires voiture, typiquement américaine.

Pendant des heures et des heures j’ai été seul sur les routes enneigées du Parc National d’Ottawa, des hauts plateaux de Washington entre Spokane et Waterville et des plaines de l’Idaho, espérant ne pas voir surgir de la forêt un cerf interrompre mon voyage. J’ai eu de la chance, quelques bons réflexes et de bons freins. Hypnothisé par le vide et le blanc de certains paysages, je me suis laissé aller dans mes pensées, reprennant conscience après je ne sais combien de temps pendant lequel mon corps conduisait tout seul…drôle de sensation.

J’ai eu peur à Farmer en voulant pénétrer en pleine nuit dans une ferme abandonnée, enfoncé dans la neige jusqu’aux cuisses et à cent mètres de la voiture quand, à la lueur de ma lampe frontale, je découvris sur les murs des inscriptions sataniques et m’imagina une créature mi-humaine mi- animale traverser mon faisceau lumineux. Reprenant mes esprits et mon rythme cardiaque, me dire quelques instants plus tard « vive le cinéma d’horreur ».

J’ai emprunter des « primitive road » sachant très bien qu’elles ne me mèneraient nulle part, si ce n’est peut être à des problèmes, humains ou naturels, mais persuadé que ces routes étaient les vraies échappées. C’est à travers celles-ci que j’ai réalisé mes plus beaux clichés. Je me suis réveillé chaque matin dans une voiture givrée de l’intérieur, passant du sac de couchage à la doudoune, et découvrant émerveillé, surpris, ou halluciné le paysage dans lequel je m’étais arrêté la veille en pleine nuit : parc nationaux, lacs gelés, rivières enchantées, parvis d’églises ou parking de dentistes.

J’ai réussi à me connecter à des Wifi de particuliers dans les rues de Duluth, Spokanee, Everett tel un campeur urbain moderne, assis à l’arrière de la voiture, coffre ouvert, casserole sur le réchaud et canette de thon en main, faisant le bonheur des piétons les plus jeunes, croisant le regard perplexe des plus âgés. J’ai accueilli au pas de ma porte des curieux qui m’ont encouragé et à qui ma liberté a fait envie.

Ce voyage est mon quatrième ski/road trip en Amérique du Nord. Nous l’avons fait avec quatre copains dans un Van à travers le Canada en 2007, à huit dans deux Van à travers les Étast-Unis en 2008, à deux dans un 4×4 et une tente à travers le Canada en 2009 ; 3 semaines à chaque voyage et quelques 3500 km parcourus. Celui que j’écris en ce moment, je le fais seul avec mon break Subaru et ma tente, étalé sur 5 mois, roulant plus de 20 000 km : le road-ski trip absolu avec une touche de « ski bum ». Cette fois-ci, j’ai souhaité vivre l’expérience en profondeur et prendre le temps. Un luxe que je m’offre sur toute la saison, avec un budget limité, mais optimisé. Il me reste malgré mes précédentes « expéditions » plusieurs nouvelles stations à découvrir et surtout de nouvelles montagnes à explorer en backcountry.

 

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